La réparation des spoliations de biens culturels mobiliers

Publié le 11/04/2024 - Mis à jour le 02/07/2024

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La mise en œuvre du pillage des biens culturels mobiliers a été entamée par l'Ambassade du Reich à Paris. A partir de l'automne 1940, l'instrument principal de cette politique est l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR). La France subit une véritable hémorragie d’œuvres, tant par les pillages que par les importants achats réalisés sur le marché de l’art par les musées allemands et même les particuliers.

L’administration française effectue après la guerre des restitutions, par l’intermédiaire de la Commission de Récupération Artistique (CRA), et des indemnisations par application de la loi sur les Dommages de guerre (1946). Sur les 100 000 œuvres pillées, la CRA, entre 1944 et 1949, en a restitué 45 000 et en a fait vendre un peu plus de 12 000 par l’administration des Domaines.

La Commission de Choix (1949-1953) a retenu 2 143 œuvres, « MNR » - Musées Nationaux Récupération - confiées à la garde des musées français. Parmi ceux-ci, les uns avaient été spoliés, les autres achetés dans des conditions douteuses par les musées allemands et autrichiens. Le Gouvernement allemand a également versé des indemnisations pour les biens somptuaires dans le cadre des lois BRüG de 1957 et 1964.

Suivant les principes de la Conférence de Washington du 3 décembre 1998, de la Résolution 1205 du Conseil de l’Europe du 5 novembre 1999 et de la Déclaration de Vilnius du 5 octobre 2000, la France participe aux efforts menés pour restituer les œuvres culturelles spoliées à leurs légitimes propriétaires.

Qu’est-ce qu’un bien culturel ?

Se fondant sur la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 14 mai 1954), sur la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite de biens culturels (Paris, 14 novembre 1970) et sur la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, la CIVS reconnaît un bien culturel dès lors qu’il présente un intérêt archéologique, artistique, esthétique, historique, scientifique ou technique. 

Cette reconnaissance peut intervenir lors de la saisine de la CIVS, durant les recherches en archives, pendant l’instruction ou lors de la délibération du Collège. Elle fonde également l’autosaisine de la CIVS. 

Si l’intérêt archéologique, artistique, esthétique, historique, scientifique ou technique est difficile à établir, l’ancienneté du bien peut être considérée, sans pour autant constituer un critère exclusif de qualification de bien culturel. 

Dans l’intérêt des familles des victimes, un doute sur la qualification de bien culturel conduira la CIVS à confier le cas de spoliation à la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS). La qualification de bien culturel demeure, à la fin, de la compétence du Collège délibérant de la CIVS. 

Se fondant sur le Règlement n°116/2009 du Conseil de l’UE concernant l’exportation de biens culturels et sur l’Annexe 1 aux articles R.111-1 du Code du patrimoine, la Commission peut reconnaître notamment aux objets mentionnés ci-après la qualité de bien culturel : affiches, aquarelles, archéologie, archives (non photographiques), armes, automobiles, cartes géographiques imprimées, cartes géographiques manuscrites, cartes postales, collections, correspondance, dessins, éléments d’immeubles et de monuments, estampes, films, gouaches, gravures, horlogerie, incunable, instruments d’optique, instruments de cinématographie, instruments de musique (à condition de présenter un intérêt artistique, esthétique, historique ou technique particulier, tenant par exemple à son fabricant ou à l’un de ses propriétaires), instruments de photographie, jeux et jouets, lettres, lithographies, livres, manuscrits, meubles et objets, d’ameublement, motocycles, mosaïques, négatifs, orfèvrerie, ouvrages, en, bois, papiers peints, partitions manuscrites, pastels, peintures, photographies, pièces de monnaie (archéologie), pièces de monnaie collectionnées, pierres collectionnées, poteries, sculptures, sérigraphies, statues, tableaux, tapis et tapisseries, timbres collectionnés, verrerie.

Les recherches par la M2RS

La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) procède à l’étude des cas de spoliations de biens culturels instruits par la CIVS. Ses pages internet proposent notamment des outils pour la recherche de provenance, parmi lesquels la Base TED, qui recense les tableaux et dessins mentionnés dans les dossiers examinés par la CIVS, qu’ils aient été retrouvés et restitués ou qu’ils n’aient jamais été localisés.

La complexité des questions posées par la reconstitution de l’itinéraire des œuvres d’art amène à consulter des sources très diverses. Le terrain d’investigation principal de ces recherches est constitué, en France, par les fonds de l’Office des Biens et Intérêts Privés (OBIP) et de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conservés par le ministère des Affaires étrangères, par les fonds des archives des Musées de France, des Archives nationales et des Archives de Paris et départementales, et à l’étranger, par le fonds de la loi BRüG en Allemagne, différents fonds aux Etats-Unis, en Autriche, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, etc. Les recherches s’appuient en outre sur de nombreuses bases de données en ligne : Rose Valland MNR (France), Errproject (USA), Fold3 (USA), Lostart Register (Allemagne), etc.

Ces investigations donnent la possibilité d’évaluer au mieux les singularités de chaque dossier et de proposer les mesures de réparation les plus appropriées.

Les recommandations de la CIVS

A défaut de preuves tangibles résultant de ses propres investigations, la CIVS statue à partir des documents ou des témoignages produits par les demandeurs. Elle s’en remet parfois à des faisceaux d’indices qui laissent présumer l’existence des biens considérés dans le patrimoine des victimes (train de vie, appartenance à certains milieux intellectuels et artistiques, etc.).

La CIVS statue en équité à partir des documents produits, des témoignages datant de l’époque des faits, de la présence des œuvres dans les catalogues raisonnés ou les inventaires. Elle peut émettre plusieurs types d’avis :

  • La restitution. Dans les cas où des biens ayant fait l’objet d’une spoliation antisémite sont localisés dans des collections françaises publiques ou assimilées, la CIVS recommande leur restitution aux ayants droit de la victime.
  • L’indemnisation. Lorsque les biens ne sont pas localisés, la CIVS recommande leur indemnisation sur la base de leur valeur estimée au moment de la spoliation. L’étude s’appuie sur des documents et témoignages produits par les demandeurs, des informations retrouvées dans les fonds d’archives et différents ouvrages qui recensent les ventes et fournissent les prix d’adjudication des œuvres d’un artiste au cours de la période 1935-1955. 
  • Le complément à l’indemnisation BRüG.  Les œuvres revendiquées peuvent avoir fait l’objet d’une indemnisation versée au titre de la loi fédérale allemande BRüG. La particularité des mesures de réparation intervenues à l’époque dans les cas de revendications d’œuvres d’art était que le montant de l’indemnité accordée correspondait en général à 50% du préjudice estimé. La pratique de la CIVS consiste à recommander de compenser de tels abattements.
  • Le rejet en cas d’absence totale de vraisemblance ou d’indices sérieux laissant supposer la possession d’un tel bien.

La CIVS ne peut pas émettre des avis ayant force obligatoire à l’adresse d’entités ou de collectionneurs privés qui pourraient détenir des œuvres dont le titre de propriété est contesté. Il en va de même à l’égard de toutes les entités étrangères, quel que soit leur statut juridique. Sa nature juridique et la souplesse que lui confèrent les textes qui la régissent permettent parfois à la CIVS de jouer un rôle de conciliateur.

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