Michel Jeannoutot invité de RCJ, le 23 septembre 2022

Publié le 25/09/2022 - Mis à jour le 01/06/2024

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Le 23 septembre 2022, Michel Jeannoutot, président de la CIVS, était l'invité de la rédaction de RCJ. Il a répondu aux questions de Rudy Saada sur RCJ Midi. L'occasion d'évoquer l'histoire de la création de la CIVS, le type de dossiers qu'elle instruit, et la méthode de travail de la Commission.

Retrouvez cette interview en vidéo (13 min 40 s) :

Nous accueillons son président Michel Jeannoutot. Bonjour merci d'être avec nous aujourd'hui sur RCJ. Avant de dialoguer avec vous, Églantine, vous nous présentez la CIVS.

La Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites pendant l'Occupation a été créée par décret en 1999, motivé par le discours de Jacques Chirac en 1995 « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'État ». Alors la Commission a pour but d'examiner les demandes présentées par les victimes ou par leurs ayants droit, de proposer des mesures de réparation, d'indemnisation et de rechercher les ayants droits. Donc toute personne qui a été victime en France d'une spoliation du fait des législations antisémites pendant l'Occupation peut demander réparation par le biais de cette commission.

Quand on parle de spoliation, on parle pas seulement des œuvres d'art qui font la une des journaux... La confiscation des avoirs bancaires, le versement de frais de passeur lors du franchissement de la ligne de démarcation, ou encore la confiscation de valeurs durant l'internement dans un camp. Cette Commission présente des partenariats avec des services d'archives en France et en Allemagne depuis plus de 20 ans la commission enregistrée près de 30 000 dossiers pour un montant total de 600 millions d'euros.

Michel Jeannoutot, pour démarrer, j'aimerais revenir sur un moment d'histoire, parce que la CIVS, on l'a dit, a été créée en 1999, mais l'idée d'indemniser les victimes de spoliation elle, elle est née pendant la guerre.

Oui, mais à la Libération les spoliations spécifiques qui avait subi les personnes de confession juive en France n'avait pas été prise en compte c'est à dire que ces personnes bénéficiaient du des régimes généraux d'indemnisation, je pense que dommage de guerre, mais les préjudices spécifiques qu'elles avaient pu subir, et j'en cite un d'ores et déjà l’aryanisation des entreprises par exemple, n'avaient pas été envisagées.

Alors concrètement quand on parle d'organisation des entreprises, on parle du fait de confisquer une entreprise à un patron juif avec tout ce que tout ce que cela implique au niveau des comptes en banque mais aussi des locaux des moyens de production.

Bien sûr. Les statuts des Juifs successifs les ont progressivement dépossédés du droit d'administrer, de posséder des entreprises, donc à ce moment-là c'est le Commissariat général aux questions juives et les administrateurs provisoires qui s'en sont chargés et qui ont très souvent fait procéder à la vente dans des conditions souvent discutables des biens des propriétaires légitimes.

Alors que s'est-il passé entre 1945 et 1999 ?

Pratiquement rien. C’est le discours du président Chirac qui a reconnu pour la première fois la spécificité passez-moi la rudesse du mot mais des spoliations subies par les personnes de confession juive en France. Et j'ajoute dès à présent, par toutes les personnes de confession juive en France. Parce que parfois on a pu entendre dire et ça a été le cas aux États-Unis d'ailleurs et de bonne foi que cette indemnisation ce système d'indemnisation spécifique était réservée aux personnes de confession juive de nationalité française. Ce n'est pas le cas. Le système français est très large puisque ce qu'il indemnise, c'est la spoliation du au loin antisémite. Quelle qu'en soit la victime y compris bien évidemment les personnes qui étaient en France mais de confession juive mais de nationalité étrangère.

Alors, Églantine le disait il y a un instant, quand on parle de spoliation on pense tout d'abord à des tableaux à des œuvres d'art qui font la une de l'actualité mais la spoliation c'est aussi j'allais dire des spoliations de gens modestes de petites sommes sur des comptes en banque, comment faire pour retracer tout le parcours de ces spoliations quand on parle d'une petite somme je ne sais pas de 2000 euros 3000 euros sur un compte en banque en 1940 ?

Alors là vous touchez vraiment au cœur de la mission de la CIVS. C'est au cœur de ce que je ressens depuis que je préside cette commission, depuis septembre 2011. Dans les 30 000 dossiers qu'on a examinés, l'écrasante majorité concerne ce que j'appelle des petites gens. Des personnes de confession juive qui souvent avaient connu les pogroms, les ghettos en Pologne, avaient franchi la frontière à l'ouest pour venir se réfugier en Allemagne, puis à partir de 1933 sont venus en France où elles croyaient y trouver la paix en définitive. Et quelques années plus tard, ce n'est pas la paix qu’elles y ont trouvé, c'est les poursuites, l'interdiction d'exercer leur activité, et la perte la spoliation de leur culture, mais aussi malheureusement la vie. Donc ce sont des petites gens qui constituent le nombre de nos dossiers. Je prends un exemple, c'est un tailleur du Sentier, la spoliation ne porte même pas sur un compte en banque, parce que en 1940 le taux de bancarisation était très faible, donc c'était la spoliation de ce que nous appelons un atelier en chambre et oui nous avons beaucoup de dossiers et c'était d'ailleurs les premiers dossiers et je pense que c'était également les personnes auxquelles pensait d'abord le président Chirac.

Alors quand vous décrivez le cas de ce tailleur on a l'impression qu'il y a un travail d'enquête absolument incroyable à fournir pour arriver au plus près de du montant de la spoliation comment cela est organisé et quand on n'a pas de réponse que fait la commission ?

Vous avez raison. Les recherches en fait était quand même possible, parce que ces personnes avaient un logement, et d'autre part l'aspect tatillon de l'administration française, y compris bien évidemment de l'administration du régime de Vichy, faisait que tout était enregistré quelque part. Je prends un exemple mais pour toutes les personnes alternées à Drancy et bien nous savons exactement ce qu'elles avaient sur elles au moment de leur internement à Drancy. Et puis évidemment il s'agit d'une indemnisation forfaitaire. Les recherches permettaient et permettent toujours d’identifier … il y a seulement 10 ou 12000 dossiers bancaires parce que le taux de bancarisation était très faible. Donc par la suite, un Accord de Washington a réglé cette question de la saisie des avoir bancaires et de la fracturation et de la saisie des avoirs qui se trouvaient dans les coffres forts.

Est-ce que cette politique de spoliation qui n'a rien à voir avec la pression de l'Allemagne puisqu'elle a été mise en place par Vichy a concerné une grande partie de la société française qui a obéi aux ordres de cette spoliation ? Que s'est-il passé à l'époque dans la société française, d'enlever de retirer aux gens ce qui est-ce qu'il possédait ?

Je ne suis pas historien, je suis juriste. Nous constatons l'activité de l'administration de l'époque, de la police, parfois des complicités et je pense notamment parce qu'on a beaucoup écrit sur par exemple la complicité voire des concierges d'immeubles qui dénonçaient et qui s'appropriait… Tout cela est vrai, il y en a eu, mais il est aussi vrai qu'une partie importante des Français et y compris des concierges ou des fonctionnaires de police a participé je dirais mollement à ce système de spoliation.

Ce qu'il faut expliquer c'est très important de le faire c'est la différence fondamentale entre dommage et intérêts comme cela est fait notamment en Allemagne et restitution suite à une spoliation.

Les indemnités matérielles, ce ne sont pas des dommages intérêts au sens où on l'entend, parce que juridiquement le dommage intérêt il répare la perte du bien, et la perte de l'usage du bien, par exemple d'une entreprise si vous perdez l'entreprise vous avez des stocks, le fonds, plus le manque à gagner, c'est-à-dire le chiffre d'affaires. La commission Mattéoli qui a examiné cette question donc à identifier les pertes des entreprises appartenant ou gérées par des personnes de confession juive mais nous n’indemnisons pas les pertes de revenus. Nous indemnisons les pertes matérielles c'est le sens du texte qui a été lu tout à l'heure.

Concrètement ça sera ma dernière question quel est le chemin pour une famille qui se tourne vers la CIVS ?

Le chemin, il est très simple et il est encore ouvert c'est à dire que contrairement à d'autres commissions la Commission française fonctionne depuis 1999 et n'a pas de période de fortes violences c'est à dire que la fin de son activité n'est pas prévue elle est toujours en activité premier point. Deuxième point, comme je le disais, elle est ouverte à toute personne qui estime avoir subi une spoliation du fait des lois antisémites ou des lois prises par l'occupant, ce sont les conditions d'ouverture. La troisième condition d’ouverture, c'est que la spoliation ait été perpétrée en France ou dans un territoire assimilé je pense à la Tunisie notamment et c'est tout très simplement la personne sans avoir besoin de recourir un avocat ou à une assistance saisir la CIVS, à ce moment-là, la CIVS lui retournera un questionnaire pour avoir quelques éléments, et c'est la CIVS qui procède à toutes les recherches, à l'instruction du dossier, auquel les requérants ont un accès permanent.

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