Nouvelles compétences de la CIVS : Michel Jeannoutot au micro de RCJ

Publié le 30/05/2024 - Mis à jour le 01/06/2024

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Le 30 mai 2024, Michel Jeannoutot, président de la CIVS, était l'invité de la rédaction de RCJ. Il a répondu aux questions d'Elsa Pariente sur RCJ Midi. L'occasion d'évoquer les nouvelles missions de la CIVS, le renouvellement de ses équipes, les dossiers qu'elle instruit, et son action mémorielle, à Paris et à Berlin.

Retrouvez cette interview en vidéo (19 min 30 s) :
 

Sur RCJ, notre invité, Michel Jeannoutot, bonjour. Vous êtes président de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations. Peut-être, dans un premier temps, pour éclairer un peu nos auditeurs sur cette commission : quelles sont vos missions - qui ont été récemment élargies, on y reviendra -, mais quelle est cette instance que vous présidez ?

Merci de m'avoir invité à m'exprimer au nom de la CIVS, un acronyme un peu difficile à retenir : c'est la Commission pour la restitution des biens et l'indemnisation des victimes de spoliations antisémites. A sa création en 1999, il était précisé : "du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation", prises par l'Occupant et par le régime de Vichy. A l'origine, le principal de l'activité de la Commission consistait à examiner les spoliations subies par les victimes de confession juive, dans leurs biens - les appartements - et dans leurs activités - les entreprises. Petit à petit, le champ d’intervention de la Commission s'est aussi orienté vers les biens culturels, en sorte qu'en 2018, suite au discours d’Édouard Philippe prononcé lors de la commémoration de la catastrophe du Vel'd'Hiv', l'accent a été mis sur les biens culturels.

Vos missions ont été élargies récemment, dans le cadre d'une loi en 2023, qu'est-ce que ça a changé ?

On s'est rendu compte que ce cadre de 2018 restait trop étroit. Des biens culturels qui avaient été assurément spoliés, qui se trouvaient dans les collections publiques en France, en 2018, ne pouvaient pas être restitués. J'illustre ce que je dis d'un exemple : nous avions un Utrillo, assurément spolié, qui se trouvait dans le petit musée Utrillo à Sannois. La mairie de Sannois nous a contactés car elle pensait que ce tableau provenait d'une spoliation antisémite. Nous avons vérifié, et c'était le cas. La municipalité de Sannois, le musée, avaient acquis ce tableau sur le marché. Ils l'avaient acquis chez l'un des deux grands opérateurs, à Londres. Donc voilà un tableau, acquis avec des fonds publics, régulièrement, sur le marché, qui était spolié. Les dispositions du code du patrimoine nous interdisaient de le restituer. Alors que la mairie elle-même était d'accord pour le faire. Cet exemple illustre la nécessité qu'il y avait à légiférer en ce domaine. Dans un premier temps, le législateur a pris des lois d'espèce, pour l'Utrillo et pour certains tableaux de la collection Dorville. Mais le Conseil d’État, à juste titre d'ailleurs, a considéré que ce système de lois d'espèce ne pouvait pas perdurer. Pourquoi ? A chaque restitution, on n'allait pas mobiliser le Parlement, la représentation nationale, pour voter une loi.

De manière consensuelle, est intervenu le vote de la loi du 22 juillet 2023, il faut le souligner, votée à l'unanimité par les deux chambres, le Sénat et l'Assemblée nationale, qui a donc modifié le dispositif. Alors peut-être, en deux mots, ce dispositif, quel est-il ? Cette modification touche le champ de compétence, et la période. Désormais, depuis la loi du 22 juillet 2023, peuvent être restitués après un avis de la Commission, les tableaux spoliés se trouvant dans les collections françaises même si la spoliation a eu lieu hors de France. C'est-à-dire que le champ géographique d'intervention a été élargi à toute la zone occupée par les nazis. Je prends un exemple : un tableau spolié en Pologne qui se trouve dans un musée français. La CIVS est compétente pour donner un avis sur la restitution. Elle ne l'était pas auparavant car il s'agissait de spoliations perpétrées hors de France. Nouveau champ géographique, et élargissement de la période : au début, période de compétence de la CIVS 1940 - 1945 ; désormais, élargie par le législateur à toute la période du nazisme, de 1933 à 1945. On voit la proactivité de l'autorité publique pour essayer de vraiment traiter cette question délicate, douloureuse pour certains, des biens culturels spoliés.

Vos missions ont donc été élargies, renforcées. Il y a récemment eu dans la presse quelques évocations d'autres changements cette fois au sein de la Commission, sur son fonctionnement. Est-ce que ces changements ont des conséquences sur ce qui se passe au sein de la Commission, sur ses processus, les restitutions ? Comment rassurer sur son fonctionnement et sa continuité ?

Effectivement, il y eu certains remous au sein de la CIVS. Le contexte. La nouvelle loi et le nouveau champ de compétences, dans le temps et dans l'espace, nous oblige à adapter nos moyens. Deux exemples. Les moyens de recherche historique. Nous devons nouer des partenariats avec des institutions de recherche spécialisées en Pologne, en Roumanie ou ailleurs dans l'ex Europe occupée par les nazis. Deuxième point : quand nous recherchons l'historique d'un bien culturel mais aussi les ayants droit, c'est-à-dire les personnes à qui ce bien peut être restitué, cela pose des difficultés juridiques. Des états civils différents, des lois successorales différentes, donc des compétences différentes. Partant de ce constat, nous avons décidé que cela devait entrainer un ajustement des compétences mises en œuvre pour parvenir à exécuter ces nouvelles missions. La nouvelle loi ayant totalement abrogé le processus ancien, il a fallu procéder à une série de nominations. Je rappelle que les autorités de nomination pour la CIVS sont le Premier ministre pour les membres du collège délibérant, et le garde des sceaux, ministre de la justice pour les rapporteurs.

Donc un certain nombre de rapporteurs ont été nommés. D'autres, qui espéraient l'être, ne l'ont pas été, ils étaient là peut-être depuis longtemps, ils avaient d'ailleurs bien servi, je ne le conteste pas. Mais ils n'avaient peut-être plus cette proximité avec la pratique judiciaire, proximité qui va devenir de plus en plus nécessaire pour explorer le champ des nouvelles compétences... Donc ça a entrainé un mouvement de solidarité, qu'on peut comprendre d'ailleurs, de personnes qui avaient travaillé de longues années ensemble, et des démissions. Mais, engagés dans ce processus de renouvellement, d'ajustement des profils aux nouvelles compétences, nous avions, la rapporteure générale, le directeur et moi-même, exploré des profils susceptibles de convenir aux nouvelles attentes. C'est ce qui a été fait : des nouveaux rapporteurs ont été nommés. Ce mouvement de renouvellement touche aussi le collège : cinq membres du collège, qui est l'organe délibérant de la CIVS, ont été renouvelés. J'ajoute que votre interlocuteur ici-même est concerné : je préside la CIVS dans l'attente de la nomination d'un nouveau président. J'ai l'honneur de présider la CIVS depuis septembre 2011, et je pense que moi-même, je suis soumis à cette obligation de renouvellement. Dès que, d'ici quelques semaines, le nouveau président aura été nommé par le Premier ministre, et bien je rendrai mon tablier, en espérant avoir bien rempli ma mission.

Vous avez déjà donné quelques exemples de tableaux rendus. Pour que les gens comprennent un peu mieux, quelle est l'ampleur de votre action ? Combien de biens, combien d'argent ? Et comment procéder ? Vous avez évoqué le fait que c'était un musée par exemple qui avait pu vous saisir. Qui peut vous saisir, et comment ça peut aboutir ?

Quelques données chiffrées sur l'activité de la commission. Depuis le début, c'est-à-dire depuis le 1er janvier 2000, puisque le décret initial qui instituait la CIVS est du 10 septembre 1999. Et bien près de 600 millions d’euros d'indemnités ont été versés, recommandées par la CIVS. Recommandées, c'est le terme, puisque ce n'est qu'un avis. Mais l'autorité publique chargée de l'exécuter, le Premier ministre, a toujours suivi ces recommandations, à 99,9 %. L'activité a été importante. C’est 30.000 recommandations qui ont été prises par la CIVS.

Et qui peut vous saisir, vous dire, sur ce tableau, sur ce cas-là, j'aimerais qu'il ait une enquête et qu'il puisse y avoir un rendu ?

La saisine de la CIVS est extrêmement simple. D'abord, toute personne qui s'estime victime d'une spoliation antisémite - qu'elle soit d'ailleurs de nature purement matérielle, nous avons encore quelques saisines relatives à des entreprises aryanisées, des personnes dont le mobilier a été volé par l'autorité occupante qui nous saisissent - et puis vous avez les personnes qui ont des biens culturels qui ont été spoliés qui nous saisissent.

Mais depuis 2018, et à fortiori depuis 2023, la CIVS peut s'autosaisir. En matière culturelle, si nous avons connaissance d'une spoliation, nous pouvons nous autosaisir. La mission du ministère de la culture qui est chargée d’étudier les dossiers de biens culturels peut elle-même nous saisir. L'autorité publique, dans un souci de faciliter l'accès aux personnes qui s'estiment victimes, a facilité les procédures de saisine. La France est le seul pays actuellement qui continue à la fois à restituer – ce n'est pas le seul - mais aussi à indemniser. L'indemnisation dont je parle reste en vigueur, et c'est le seul pays en Europe qui pratique de la sorte.

Il y a une dimension de transmission de cette mémoire de la Shoah. Est-ce que vous avez en tête des cas ou des choses qui se sont passées là, durant ces dernières années, qui en attestent, et qui donnent cette dimension collective aussi à votre travail ?

La dimension mémorielle de l'action de la CIVS s'exprime par des participations aux événements. Le directeur, les rapporteurs généraux successifs et moi-même, on participe à l'information, à l'université, dans les lycées, et surtout à l'international. Cette action mémorielle se manifeste en Allemagne. Nous avons une antenne à Berlin qui est le service mémoriel de l'ambassade de France. Un exemple d'actualité : le volet mémoriel de la visite d'État du président de la République qu'il vient d'effectuer en début de semaine, la visite du mémorial de l'Holocauste à Berlin, tout a été organisé par notre antenne à Berlin. De la même manière, nous contribuons à l'information des lycéens, des universitaires, via cette antenne à de Berlin. Et nous nous y rendons à l'occasion pour participer à l'information.

Peut-être une dernière question et après je vous laisserai aussi conclure sur les mécanismes. Dans la période actuelle de cette recrudescence des actes antisémites depuis plusieurs mois, est-ce qu’il y a une évolution, un écho spécifique, au sein de la mission ? Cette façon de tordre l'histoire, qu'on peut entendre depuis plusieurs semaines ? Vous, votre action, elle tend aussi à remettre de l'histoire, du concret et des faits dans tout ça ?

On remet du concret. Mais on trouve également de la douleur dans les dossiers que nous avons. La mission de la CIVS est sensible, compte tenu à la fois de la douloureuse histoire et du contexte actuel. A ma connaissance, nous n'avons jamais eu de critiques ou d'observations qui s'apparenteraient a de l'antisémitisme. Je vous disais également qu’à Berlin, sur un plan européen, il y a des actions mémorielles qui sont mises en place, et elles portent leurs fruits. Assez paradoxalement, et étonnamment, je prends l'exemple de l'Allemagne. Nous avons maintenant un courant, certes ce n'est pas c'est pas un flux très très dense, mais quand même, nous avons eu une vingtaine de dossiers dans lesquels ce sont des familles allemandes ayant chez elles des biens culturels qui nous saisissent, qui viennent à Berlin, qui disent : voilà des biens qui sont chez nous, ils sont arrivés dans notre foyer après guerre, nous ne savons pas quelle est leur histoire, nous nous vous les remettons pour faire les recherches, afin qu'ils soient restitués à leur légitime propriétaire. Un bon exemple : le 31 mai, nous allons restituer des biens culturels à la Mairie de Pontivy. Nous n'avons pas retrouvé les propriétaires, mais des biens culturels arrivés de manière très douteuse en Allemagne vont être remis à la mairie de Pontivy. Il y a vraiment une prise de conscience.

Dernier exemple, parce que c'est le volet international que vous évoquez, l'année dernière, un musée britannique un tableau de Courbet, « La ronde enfantine », nous a saisis, a saisi la mission du ministère de la culture, pour qu'on fasse les recherches afin de trouver les ayants droit de ce beau tableau de Courbet, de grande valeur. Les recherches ont été faites et la commission anglaise a restitué le tableau à la famille spoliée en France.

Merci beaucoup, Michel Jeannoutot, président de la commission pour l'indemnisation de victimes de spoliations, d'avoir été notre invité ce midi sur RCJ.

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