Remise de douze œuvres aux ayants droit d’Armand Dorville
Publié le 17/06/2021 - Mis à jour le 27/05/2024
Sur recommandation de la CIVS en date du 17 mai 2021, le Premier ministre a décidé de remettre aux ayants droit d’Armand Dorville les douze œuvres (onze dessins et une cire) que l’Etat avait acquises à la vente de la collection de M. Dorville, à Nice, en juin 1942. Ces œuvres se trouvent aujourd’hui au musée du Louvre, au musée d’Orsay et au château de Compiègne.
Les œuvres concernées appartenant aux collections publiques nationales, une loi est nécessaire pour mettre en œuvre cette décision. Le gouvernement présentera un projet de loi à cet effet.
Rappel des faits
Armand Dorville, avocat français juif qui s’était réfugié dans sa propriété de Cubjac (Dordogne) meurt en juillet 1941. Sa collection et ses meubles sont mis en vente par son exécuteur testamentaire, en accord avec les héritiers. Au premier jour de la vente des œuvres d’art à Nice, le 24 juin 1942, un administrateur provisoire est nommé par les autorités de Vichy pour «aryaniser» la vente, c’est-à-dire en confisquer le produit. La vente, au cours de laquelle les musées nationaux achètent douze œuvres, atteint de bons résultats. Six mois plus tard, en décembre 1942, l’administrateur provisoire demande, et obtient en juillet 1943, que la famille soit exemptée des mesures d’administration provisoire. Le produit des ventes est alors envoyé sous forme de titres de dette de l’État au notaire de la famille, dont les membres sont dispersés dans le sud de la France, les empêchant très probablement de les percevoir effectivement. En mars 1944, cinq membres de la famille, dont trois héritières d’Armand Dorville et deux enfants, sont arrêtés, déportés et assassinés. Après la guerre, les héritiers survivants perçoivent le produit des ventes, qui est intégré au règlement de la succession d’Armand Dorville en 1947. L’annulation des ventes, que le notaire de la famille sait pouvoir être réclamée, n’est pas demandée.
La procédure
Le 13 novembre 2019, les descendants des légataires d’Armand Dorville ont saisi la CIVS en vue d’obtenir : (1) l’annulation des ventes aux enchères sur le fondement des dispositions de l’ordonnance du 21 avril 1945 ; (2) la restitution de 20 œuvres. Ce dossier complexe a donné lieu à d’importantes recherches pour établir les faits, de la part du ministère de la Culture (Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945) et de la part de la CIVS. Plusieurs centaines de pages d’archives ont été examinées, et l’instruction a été exceptionnellement menée par deux magistrats rapporteurs de la CIVS. Le Collège délibérant de la CIVS s’est réuni le 9 avril. La CIVS a émis sa recommandation le 17 mai.
L’avis de la Commission
Seul le juge peut statuer sur l’application de l’ordonnance du 21 avril 1945. Dès lors, la demande d’annulation de la vente, fondée sur l’application de ce texte, ne pouvait être examinée par la CIVS. La Commission a estimé, au vu des éléments rassemblés, que la vente en elle-même n’est pas spoliatrice :
- ni dans son organisation : décidée par les héritiers et organisée par l’exécuteur testamentaire, ami et confrère d’Armand Dorville ;
- ni dans son déroulement : la nomination de l’administrateur provisoire n’eut aucune incidence sur la poursuite des ventes ; les ayants droit ont pu, librement, exercer leur droit de retrait pour 46 de ces œuvres ; le produit de la vente a été largement supérieur aux estimations.
Cependant, la vente sous administration provisoire a eu comme conséquence de rendre indisponible le produit de la vente. Cette mesure aryanisatrice, décidée et exécutée en application de la loi du 22 juillet 1941, est considérée comme une spoliation à caractère antisémite au sens du décret du 10 septembre 1999 qui régit la CIVS. La déportation et l’extermination de certains légataires d’Armand Dorville, et la dispersion des autres héritiers, intervenues du fait des persécutions antisémites, ont encore différé la remise du produit de la vente. Cette situation est à l’origine d’un préjudice financier spécifique ouvrant droit à une indemnisation. En outre, durant les ventes de juin 1942, l’Administration, qui savait que ces ventes étaient soumises à la loi du 22 juillet 1941, a acquis 12 œuvres. La CIVS considère que ces œuvres ne devraient pas être conservées dans les collections publiques. Mais leur remise se heurte aujourd’hui au principe d’inaliénabilité des propriétés publiques. Seule une loi pourra l’autoriser.
Liste des œuvres
- Henry Bonaventure Monnier, Portraits de Joseph Prudhomme et de Henry Monnier, aquarelle, musée du Louvre, RF 29339 ;
- Henry Bonaventure Monnier, Les trois matrones, aquarelle, musée du Louvre, RF 29340 ;
- Henry Bonaventure Monnier, Les visiteurs, aquarelle, musée du Louvre, RF 29341 ;
- Henry Bonaventure Monnier, Une soirée chez Madame X, plume gouachée, musée du Louvre, RF 29341 bis ;
- Jean-Louis Forain, Femme à la terrasse fleurie (ou Jeune femme debout sur un balcon, contemplant des toits parisiens), aquarelle, musée d’Orsay, RF 29342 ;
- Constantin Guys, Jeune femme et sa duègne, aquarelle, musée d’Orsay, RF 29334 ;
- Constantin Guys, La présentation du visiteur (ou Présentation de visiteur), plume et lavis, musée d’Orsay, RF 29335 ;
- Constantin Guys, Cavaliers et amazones, plume et aquarelle, musée d’Orsay, RF 29336 ;
- Constantin Guys, La loge de l’Empereur pendant une représentation de Madame Viardot dans « Orphée » (ou La loge de l’Empereur), plume et aquarelle, musée d’Orsay, RF 29337 ;
- Constantin Guys, Revue aux Invalides par l’empereur Napoléon III (ou Une revue aux Invalides), plume et aquarelle, musée d’Orsay, RF 29338 ;
- Pierre-Jules Mène, L’amazone présumée être Sa Majesté l’impératrice Eugénie, cire originale, château de Compiègne, C 42.064 ;
- Camille Roqueplan, La diligence en danger, aquarelle, musée du Louvre, RF 29333.
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